Reservoir d'Emmanuelle Jouet

Vue d’ensemble de l’analyse de l’Affaire des Vermiraux
Un lieu, un village du Morvan protégé par des collines verdoyantes, l’été et un manteau de neige qui s’installe bien vite dans la saison, l’hiver. Camouflé par une longue plongée de traverses sinueuses devenues aujourd’hui des routes départementales agréables. Commune de près de 400 habitants, qui en comptait davantage il y a un siècle. Un rôle économique conséquent à cette époque et qui le reste, du point de vue du lien social et rural : on trouve tout à Quarré Les Tombes : une supérette, une pharmacie, deux hôtels, trois cafés, une boulangerie-pâtisserie, une boucherie-charcuterie, un distributeur bancaire, un poste de police, une station essence, un vendeur d’électro-ménager. Inutile de faire les petits trente kilomètres qui les séparent de la « Ville », Avallon, pour faire des courses de premières nécessités et davantage, les habitants savent qu’ils ne manqueront pas. Autres caractéristiques : une église entourée de tombes mérovingiennes (qui justifient sa récente appellation), deux monuments aux morts sur la place centrale, et enfin, invisible pour le touriste ou le vagabond, le tissu si particulier, démographique et social, de sa population.

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Quarré Les Tombes, a accueilli, comme tout le berceau granitique du Morvan, une masse conséquente d’enfants issus de l’Assistance Publique.
Du XIXème siècle jusqu’au milieu du XXème siècle (en raison de la modification de la loi du placement des enfants de l’Assistance Publique), des enfants des départements de la Seine, Seine et Marne, Seine et Oise ont été, d’abord « déplacés » de leur lieu d’origine et ensuite « re-placés » dans des familles dites « nourricières ». Durant plus d’un siècle, quatre ou cinq générations d’orphelins, d’enfants « abandonnés » ont trouvé « accueil » dans des fermes, qui les ont élevés, jusqu’à l’âge de treize ans, ils étaient ensuite loués comme employés dans les mêmes fermes ou bien dans d’autres, ou ils partaient gagner « leur vie » ailleurs. Les plus « chanceux » pouvaient bénéficier de l’ascenseur social que représentait l’Instruction publique naissante, bras de la troisième République. Ces enfants, dépossédés de leur parents et de leur identité familiale, devenus possession de l’administration de l’Assistance Publique avaient leur destin entre les ressorts administratifs d’une part et d’autre part, entre les mains des membres des familles qui les prenaient en « accueil » moyennant une pension, des vêtures versées par l’Assistance Publique. Pendant plus d’un siècle, des foyers en mal de revenus supplémentaires, de main d’œuvre bon marché, et d’échanges affectifs devinrent les instruments d’une politique de contrôle social d’une « catégorie » d’individus dont la « société » devait s’occuper. Pas de vagabonds, ni d’enfants à l’abandon visibles dans les rues de la capitale, pas de voleurs en gestation dans le ventre de Paris, puisqu’ils sont échangés aux familles rurales en demande de soutien afin d’assurer une stabilité économique à une région peu industrielle. Sortis du sort d’exclusion ou d’enfermement que la rue leur réservait, les enfants sont introduits dans un système d’élevage dont l’objectif est de leur assurer une éducation, une formation nécessaire et suffisante pour pouvoir entrer à nouveau dans la société et d’en être membre de plein droit. Rapidement dans son institutionnalisation, l’Administration Publique, aidée de l’Instruction Publique et de l’Administration pénitentiaire, organise un système de contrôle des « bonnes pratiques » de placement, avec une cohorte d’inspecteurs, de sous-inspecteurs, de directeurs d’agences, de médecins contrôleurs et la batterie de lois adéquate.


D’un côté, la figure économique, sociale, démographique du Morvan s’en trouva transformée de façon conséquente. Les petites exploitations reçurent des compléments de salaires qui donnèrent des perspectives financières intéressantes. L’augmentation régulière des revenus annuels contribua à améliorer la condition d’acteurs des couches très défavorisées. Cette activité de placement permît de réguler positivement l’exode rural qui touchait les campagnes françaises au cours des siècles de l’industrialisation.
Par effet de proximité : les enfants, à partir de treize ans pouvaient être loués dans des fermes, tout en restant sous le contrôle de l’administration de l’Assistance Publique. Engagés par des voisins de leur famille nourricière, -donc par des gens de connaissance, eux qui n’étaient « re connus » de personne- beaucoup faisaient le choix de rester dans la seule région qu’ils « savaient », près des seules fragiles racines qu’ils s étaient construites. Ils « s’implantaient » dans cette région, pouvaient trouver un emploi fixe, acquérir des revenus, s’acheter une maison, se marier et fonder un foyer. Un processus de liens sociaux se mit en place entre les résidents « historiques » et ces « étrangers » importés artificiellement par l’administration.
Ils pouvaient également se sédentariser dans le Morvan par choix, et devenus membre de la parenté des familles nourricières, assurer de leur plein gré le rôle de la descendance et prendre en charge la transmission parentale, affective et économique de « leurs parents ».
De l’autre côté, l’avenir des enfants trans-bordés fut également transformé par cette transhumance organisée. Ils sont les individus d’un contrôle social, abandonnés, déracinés, instrumentalisés, afin d’être éduquer, voire re-former, et devenir des adultes rentables et contrôlables. Les familles sont censées les éduquer, leur apprendre les règles de la vie en société et leur apporter, avec l’aide des administrations, un futur « correct ». Certains tomberont dans des familles « bien-traitantes » qui se feront un objectif de les aider, de les éduquer, voire de les aimer ; alors que d’autres, seront mis entre les mains d’individus violents, peu scrupuleux de l’éducation, avides de gains financiers et de rentabilité économique pour leur propriété individuelle.

Dans ce paysage très particulier « d’ accueil » (accueillir veut dire s’ouvrir à l’autre, lui donner la possibilité d’être lui-même dans un cadre spécifique, qui doit respecter et être respecté), l’éducation est un des objectifs annoncés. Parmi les systèmes éducatifs d’alors se côtoient des établissements privés dirigés par des organisations religieuses, ou des personnes privées, aux établissements de formation et écoles issus des grandes lois de l’Instruction Publique courant tout au long du XIXème siècle. L’éducation devint matière de réflexion sociale, d’organisation sociale, objet de législation et d’institutionnalisation de la formation et de la pédagogie.
Les pédagogues, les médecins, les chercheurs développent des expériences sur les méthodes d’enseignements, la Puériculture fait son apparition ainsi que l’Hygiène. Les philanthropes se partagent les « théories » sur la meilleure éducation à donner aux « enfants » dévoyés et dangereux : de la Petite Roquette à Mettray, de multiples « techniques » de redressement se verront expérimentées. Fondées sur des considérations, empreintes de bonnes intentions et de morale de l’enfermement, elles vont venir toucher les catégories d’enfants dits « vicieux » « difficiles » qui vont ainsi devenir matériaux d’expérience de formation. Et c’est là, que nous retrouvons les vertes vallées du Morvan et plus précisément la petite colline appelée les « verts pâturages ».

Quelles questions nous posons-nous ?
Les « Vermiraux » est un établissement d’accueil des enfants de l’Assistance Publique des départements de la Seine, Seine et Marne, Seine et Oise, créé en 1882 à Quarré Les Tombes sous l’initiative privée. Ces enfants sont accueillis dans un premier temps pour être soignés de la teigne. Par la suite, des catégories d’enfants, que l’on dirait aujourd’hui inadaptés, les remplaceront sous couvert d’éducation nouvelle et de méthodes pédagogiques novatrices. L’établissement tire ses revenus du placement des enfants de l’Assistance Publique, les dirigeants donnent aux enfants les moyens d’apprendre un métier, par des cours et également des « travaux pratiques » chez les fermiers voisins, l’Assistance Publique, qui n’a aucun droit sur cet établissement (puisqu’il est privé) trouve dans cette structure en milieu rural une opportunité pour la régulation de son dispositif global. Tous les ingrédients d’une « économie » vertueuse sont en place : une politique publique d « insertion » relayée sur le terrain par l’initiative privée, faisant profiter légalement les acteurs de la commune des ressources « humaines » disponibles, en permettant le développement économique durable de la région par la formation et l’enracinement d’une population éduquée.
Ce fut le point de départ XXXX, car cette « économie » vertueuse va en quatre ans devenir une économie « viciée » par l’entremise de l’accointance entre les propriétaires, notamment la fille du fondateur, et d’un fonctionnaire de l’Assistance Publique. Ils vont identifier rapidement dans cet entrelacs de relations financières, de nécessités de labeur, et de valeurs collectives, les manques de contrôle qui leur permettront un enrichissement facile86 au détriment de la santé des enfants et des budgets des administrations concernées.

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En quatre ans, le projet de formation des enfants « difficiles et vicieux » est devenu l’objet d’un réquisitoire et d’un procès retentissant. Les dirigeants sont jugés pour malversation financière et maltraitance sur des mineurs. Ils seront condamnés à trois et quatre ans de prison sous les lassis de la presse régionale et nationale.
Que reste-t-il de cet épisode dans la mémoire de Quarré Les Tombes ? Dans les mémoires personnelles des enfants passés aux Vermiraux ? Dans l’Histoire de l’Assistance Publique ? Quelles en sont les particularités et quels en sont les invariants anthropologiques ? Comment les déviations éducatives ont-elles eu lieu ? Que peut-on tirer aujourd’hui comme enseignements dans le cadre d’une critique d’établissements éducatifs ?