APPROCHES D’UNE ECONOMIE DES SECRETS 
DANS UNE INSTITUTION EDUCATIVE ET SANITAIRE DE PLACEMENTS D’ENFANTS :
monographie de « l’Affaire des Vermiraux », Quarré-les-Tombes, Yonne, Juillet 1910-1911
,

par Emmanuelle JOUET

charmilles quarré

Résumé de la thèse de doctorat en sciences de l'éducation de l'Université de Paris VIII-Saint Denis, 2007
soutenue par Emmanuelle Jouet en novembre 2007, sous la direction de
Jean-Louis LE GRAND,
suite à son DEA sur le même sujet soutenu en 2001.

 

Cette étude s’intéresse aux dérives qui ont transformé un projet sanitaire et éducatif, présenté à son origine comme novateur, en l’objet d’un réquisitoire judiciaire, puis d’une condamnation. Est privilégiée la question de la gestion du secret dans de telles affaires et de son interaction entre les acteurs à différentes échelles sociales et humaines.

« L’Affaire des Vermiraux » retrace des faits qui se sont déroulés au début du XXe siècle dans le Morvan, à Quarré-les-Tombes. Au lieu dit les Vermiraux, une institution éducative privée reçoit, de 1882 à 1910, des enfants de diverses origines sociales et dits « arriérés », « débiles », « nerveux ». Ils sont placés par leur propre famille ou sont issus des agences de l’Assistance publique de la Seine, de la Seine-et-Marne, et de la Seine-et-Oise. L’établissement poursuit une activité de soin contre la teigne jusqu’en 1907, date du décès de son fondateur. La continuation du fonctionnement est assurée par sa femme et de façon cachée par un représentant de l’Assistance publique. A partir de cette année 1907, c’est en une machine d’exploitation financière, humaine et de maltraitance, que se transforme les «Vermiraux ». Les gérants s’enrichissent au détriment des enfants, sous couvert de l’administration de l'Assistance publique, de l'Administration pénitentiaire et de celle de l’Instruction publique. Une révolte des pensionnaires en date du 2 juillet 1910 va entraîner l’ouverture d’une instruction à leur encontre. Il s’agit de la première condamnation française de gérants éducateurs à de lourdes peines de prison ferme.

Après avoir dressé un panorama des monographies typiques en sciences sociales et humaines, l’auteure construit une Rédaction à Usage Monographique architecturée et écrite à partir des documents préexistants en fonction de leur structure. Il est fait appel à la méthode historique pour la collecte des données à partir des sources primaires et secondaires. S’ajoute la nécessité de construire une monographie traçable et stable à partir du corpus contenant la brochure institutionnelle initiale de l’établissement et le réquisitoire de son procès. Permettant de retrouver dans les écrits la dissonance entre l’utopie éducative et le jugement final,  ces deux pièces majeures, découpées par paragraphes, servent de trame de récit. Y sont incorporés à l’aide d’opérateurs neutres l’ensemble des documents constituant l’intégralité des données écrites disponibles. Ce sont les voix de chaque protagoniste que donne à entendre une telle monographie, encadrant la part de subjectivité de l’auteure. L’intention est de produire une méthode de rédaction reproductible.

A partir de ce corpus, sont explorées l’installation et la stabilisation d’agissements « surviolents » et de malversations à l’encontre de ces enfants fragilisés socialement. Il s’agit de rendre compatibles les apports disciplinaires pour permettre par une vision multiréférentielle une approche compréhensive de la complexité de « l’Affaire des Vermiraux ». Un modèle idéaltypique appelé « économie des secrets » permet de proposer une analyse des processus en cours. Il est caractérisé par l’existence de couplages d’actions montrant les objets de rétention d’informations ainsi que les bénéfices de ces actions, par la présence de ces actions et bénéfices dans des sphères d’échelles différentes (intime, personnelle, groupale, sociétale) et enfin par le renforcement de ces coexistences l’une l’autre afin de rendre invisible le cœur et l’ensemble du système social en jeu.

L’apport majeur de ce travail est de fournir un outillage qui permet de rendre commensurable des pratiques hétérogènes de dissimulation développées par des acteurs de sphères et de natures différentes, comme des personnes physiques ou des personnes morales. il permet d’apporter une réponse à la question de la stabilité des mécanismes de « surviolence » dans des institutions communautaires. C’est par un enchevêtrement de bénéfices à rétenter de l’information pour des acteurs situés dans différentes sphères que se constitue un bouclier protecteur d’un système « vicié ». Enfin, il est proposé de considérer ces couplages et maillages de bénéfices comme des invariants anthropologiques transposables dans des affaires aux caractéristiques identiques (gestion d’enfants fragilisés socialement, adultes intéressés, institutions gérants des « débarras », financements publics et contrôles insuffisants, commande sociale et morale paradoxale).

Une restitution des travaux est proposée aux habitants actuels du village afin de faire émerger la parole sur un pan de la mémoire collective restée jusqu’à ce jour un point aveugle. L’approche des « l’économie des secrets » permet ainsi de mettre au jour des aspects anthropologiques de la tradition de l’accueil de cette région.

Même si de tels « débarras d’enfants » ont aujourd’hui disparu, en France, l'auteur défend le point de vue que la question de l’interpénétration des sphères des secrets peut constituer un modèle utile d'analyse, notamment en milieu socioéducatif et médicosocial.

(1) l'orthographe "Vermireaux" est également utilisée dans certains documents d'époque

Pour en savoir plus sur la suite des travaux sur les vermiraux, consultez le bien public
ou faites un tour sur le site de la compagnie du Lab
en attendant la publication prévue courant 2009 de la monographie des Vermiraux, par Emmanuelle Jouet.

Pour accéder à la présentation du projet d'écriture théatrale, cliquez ici

 

mise en ligne : 30 septembre 2007, Olivier Las Vergnas
Droits photos : OLV